Etre médecin colonial dans l’armée, c’est partir sur les routes au gré des affectations avec les moyens de locomotion de l’époque et donc passer beaucoup de temps dans les trains et les navires au long cours. Tel a été le destin de Claude Dethève, né à Roanne en 1867, qui a laissé à la Bibliothèque Municipale de Roanne de nombreuses cartes postales et photographies de ses voyages.
Engagez-vous, vous verrez du pays !
Claude Dethève soutient sa thèse de médecine à Bordeaux en 1894 et gagne très rapidement le Territoire de Djibouti. Ce premier pas sur le sol africain l’emmene de Obock au Caire en passant par le Sénégal et le Canal de Suez.
Depuis Zanzibar, il vogue vers une île assez méconnue des européens : Madagascar. Il y parvient pendant l’insurrection des Fahavalo, et manque de succomber à la fièvre. Pourtant, de cette belle île, il rapporte un grand nombre de photos, témoignant d’un certain regard de l’occident sur les colonies. La plupart sont issues de son appareil, de petit format, les autres sont plus imposantes et ont été faites en studio.
Après quelques allers-retours rapides entre l’Asie et l’Afrique de 1895 à 1897, passant par Saigon et Shanghai, il s’installe à Pékin comme médecin de la Légation française, et devient le premier médecin occidental autorisé à ausculter l’empereur de Chine, Guangxu, que l’impératrice douairière Ci Xi souhaite écarter du pouvoir. Le docteur Dethève n’est pas dupe de cette situation et écrit dans une lettre à sa mère, datée du 22 octobre 1898 : « L’Empereur voudra-t-il user de médicaments, j’en doute beaucoup, je crois plus que cette démarche a été faite par l’Impératrice pour montrer que l’Empereur est bien vivant et contredire les journaux anglais qui annonçaient sa mort par empoisonnement ».
Cette auscultation lui vaudra d’être nommé Chevalier de la Légion d’Honneur.
De 1899 à 1906, il est médecin sur les chantiers de chemin de fer à Chang Xin Dian (près de Pékin). Cet emploi lui permet de faire de multiples excursions jusqu’en Cochinchine, au Viet Vint (Annam) ou à Haiphong. Il envoie des cartes postales à ses proches restés au bercail et en réunit davantage encore pour le plaisir des yeux.
En juin 1906, il revient s’installer à Dakar, qu’il connait déjà bien, et travaille à l’hôpital jusqu’en juin 1911.
Il embarque direction Hanoi, en juillet 1911, pour une durée d’un an avant de rejoindre la France en 1912. La guerre met un terme à ses pérégrinations et le voit s’engager sur le Front de l’Est jusqu’en 1917.
Son retour à Roanne en 1921 est définitif ; il y demeure jusqu’à sa mort en 1936.
Investigations délicates
Comment retracer les chemins empruntés par Claude Dethève, ce dernier n’ayant laissé aucun journal de bord ? Par l’image.
En effet, ses dons à la Médiathèque de Roannais Agglomération représentent quelques 500 cartes postales et 300 photographies conservées dans des albums joliment décorés de sa plume. Au Musée Joseph Déchelette, Claude Dethève lègue une centaine d’objets, mobilier, vêtements, tentures magnifiquement brodées, bronzes et porcelaines.
Afin de retracer ses trajets, il s'agit d'examiner chaque carte postale pour en étudier les tampons postaux, retourner chaque photographie pour trouver éventuellement une date, un lieu… Il est alors possible d’entrer dans la vie de ce médecin des armées, globe-trotter pendant plus de 18 années. Il embarque dans ses aventures son épouse, Jeanne. Cette dernière effectue de fréquents allers-retours entre la France et ces lointaines destinations. Ce couple uni – les cartes postales qu’ils s’envoient dans les moments de séparation sont adorables, pleines de tendresse et de retenue – nous offre également une vision plus intime de ses pérégrinations par le biais de photographies d’intérieur : une case à Obock ou un salon à Pékin.
Un siècle après, se plonger dans le monde du Docteur Dethève apparait vraiment comme une expérience dépaysante. Le regard curieux, à la fois humaniste et entaché de colonialisme, du photographe offre un intéressant témoignage. Il ne surestime pas ses qualités de photographe amateur et n’hésite pas à compléter ses prises de vue avec des photographies et portraits de studios d'artistes renommés comme Bonfils ou avec des cartes postales tels que les petits métiers ou la Justice. Sa veuve lèguera toute sa correspondance, ses albums et ses photographies à la Bibliothèque de Roanne, rejoignant ainsi la cohorte des généreux donateurs qui permettent aujourd’hui d’admirer l’appétit de voyages et d’exotisme de ce valeureux globetrotter.