Le grand Argentier des rois de France
Jacques Cœur naît à Bourges entre 1395 et 1400. Son père, Pierre Cœur est venu chercher fortune en cette ville comme marchand pelletier. Il s’établit à l’ombre du palais ducal et à proximité de la Sainte–Chapelle ce qui lui amène une clientèle fortunée. Jacques fait un heureux mariage vers 1420 en épousant Macée de Léodepart, fille du prévôt de la ville. Il tente sa chance dans la fabrication des monnaies et le commerce avec le Levant à bord de navires comme les galées Sainte Marie et Saint Paul.
En 1436, il s’installe dans un hôtel à Paris comme maître de la monnaie de la Ville et transforme les greniers en entrepôts à destination du négoce. C’est ainsi que deux ans plus tard il est nommé Argentier du Roi, et gère les magasins dont il est également le meilleur fournisseur.
En dix ans, ses affaires connaissent une extension extraordinaire : mines argentifères, armes, draps de soie, monopole d’importation des épices. Il progresse dans les faveurs de Charles VII comme commissaire du roi en Languedoc, membre du conseil du roi lors de missions diplomatiques, visiteur général des gabelles. Ce qui lui vaut d’être anobli en 1441 et de participer à l’entrée triomphale de Charles VII dans Rouen le 10 novembre 1449.
C’est un homme seul à la tête d’une fortune colossal qui a le soutien et la protection des grands comme les papes et certains rois tel Alphonse V d’Aragon ou René comte d’Anjou. Ces derniers étant également ses débiteurs, la position de Jacques Cœur est un jeu d’équilibre constant entre forces et fragilités.
Il sert Charles VII en lui prêtant de l’argent, mais devient plus riche que le roi qui en prend ombrage. De plus, la modestie de son origine sociale est dénoncée par la haute noblesse de Cour. On le compare à un « ribaud compromettant l’honneur du Roi ».
« Sa principale erreur fut la démesure, faute majeure pour les hommes du Moyen-Age »
La chute brutale de Jacques Cœur – tout à la fois coupable et victime – résulte de la décision du souverain retirant sa protection à son Argentier et autorisant l’ouverture contre lui d’un procès criminel.
Un procès d’exception
Juin 1451, des rumeurs courant depuis un an le mettent en cause, à la suite du décès prématuré d’Agnès Sorel (1422-1450) son amie et maîtresse du roi. On l’accuse un temps de l’empoisonnement de cette dernière. Mais la procédure est rapidement disjointe des autres actes d’accusation.
Comme l’indique les minutes du procès (E2) : il est convaincu de crime de lèse-majesté pour atteinte à l’honneur du Roi et de crimes de concussions (extorsions) et exactions. On l’accuse de fournir des armes aux mécréants et de frayer avec le sultan d’Égypte à Alexandrie. Mais il lui est également reproché la revente d’esclaves chrétiens volés, de fraude monétaire et au fisc royal au travers de trafic du sel.
Il reçoit cependant l’aide et le soutien de l’Église au cours de son procès, par l’intermédiaire des archevêques de Tours et de Rouen.
L’emploi de la torture constitue le fait marquant des ultimes interrogatoires, sans doute infligée à l’aide de cordes serrées progressivement. Au fil des questions Jacques Cœur faiblit, sa mémoire défaille comme en témoigne les mentions suivantes : « n’est recors », « n’a point de souvenance », « n’a mémoire » qui se multiplient tout au long de l’interrogatoire. Il reconnait sa culpabilité, à l’exception de l’usage des poisons.
La sentence est rendue le 29 mai 1454 sous forme d’un arrêt de condamnation par lettres patentes. Le jugement donné par le Roi est prononcé par le Chancelier de France, en l’absence du prisonnier. Une peine de confiscation de corps et de biens est rendue contre lui à défaut du paiement de la somme de 400 000 écus. L’exécution de la peine de mort est remise en raison de services faits à la couronne et de la sollicitude témoignée à son égard par le Pape. Elle est commuée en un bannissement perpétuel, assortie d’une interdiction à vie de remplir tous offices royaux et publics.
Le procureur général Jean Dauvet fait procéder à l’amende honorable infligée au condamné : il comparait dans une tenue symbolisant sa dégradation sociale provoquée par son crime, « sans chaperon ni ceinture, à genoux, tenant dans ses mains une torche de 10 livres de cire allumée ». Il doit reconnaître ses fautes, demander pardon à Dieu et ainsi réparer symboliquement l’honneur d’un Roi particulièrement attaché à la majesté de sa personne.
L’Exécution de la condamnation : les biens en roannais
Le procès reflète la gravité de l’accusation et le statut de Jacques Cœur, tant par sa durée (2 années d’instruction, 4 années pour venir à bout de l’exécution de l’arrêt de condamnation), l’ampleur des moyens mis en œuvre (près de 100 témoins entendus) que par le caractère exorbitant d’une amende (400 000 écus), dont le montant est identique à celui des rançons exigées pour la libération de Charles d’Orléans pris à Azincourt ou de René d’Anjou, prisonnier du duc de Bourgogne.
Jacques Cœur possédait des biens se trouvant dans et hors domaine royal : dans le duché de Bourbon, le comté de Provence, le royaume d’Aragon ou encore le duché de Savoie.
La somme de rachat proposée par Guillaume Gouffier, 10 000 écus, est finalement retenue par la Cour du Trésor le 5 décembre 1455. Elle se situait en dessous de la valeur réelle de cet ensemble de biens, comprenant le château et les terres de Boisy, la seigneurie de la Motte-la-Forest, la moitié des seigneuries de Roanne et Saint-Haon-le-Châtel.
En octobre 1454, Jacques Cœur retrouve sa liberté, il réussit à s’échapper du château de Poitiers. Gagnant le Sud, il trouve refuge d’abord chez les Dominicains de Limoges, puis chez les Franciscains de Beaucaire en février 1455, avant de passer ensuite en Provence. Il parvient à Rome le 16 mars 1455, où il se place sous la protection du pape Nicolas V. Pendant deux ans il réunit ses principaux responsables de ses affaires afin de préparer une expédition pontificale pour Calixte III contre les Turcs, maîtres de Constantinople depuis le 29 mai 1453. L’objectif est l’île génoise de Chio qui subit la pression Turc. A 60 ans Jacques Cœur prend une dernière fois la route du Levant. Il décède à Chio le 25 novembre 1456. Aujourd’hui son emblème en forme de Cœur et sa devise demeure dans nos mémoires : «À cœur vaillant, rien d'impossible»