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Capturer le temps : l’œuvre de Stéphane Geoffray

Au XIXᵉ siècle, la photographie émerge comme un outil scientifique et artistique, capable de figer le temps et de documenter le patrimoine. Stéphane Geoffray, autodidacte passionné, saisit cette opportunité pour explorer, expérimenter et perfectionner les techniques photographiques tout en constituant des archives urbaines et patrimoniales uniques. De ses recherches techniques sur le calotype et le négatif ciré aux inventaires méthodiques de Roanne, Charlieu et Vougy, son travail interroge la manière dont la photographie peut conserver la mémoire des villes et du patrimoine tout en repoussant les limites de l’innovation technique.

Dans les pas de Stéphane Geoffray

Étienne, dit Stéphane Geoffray, naît le 17 avril 1827 à Roanne (Loire) et meurt le 12 décembre 1905 à Paris (16e arrondissement). Fils d’Antoine Geoffray (1796-1838), confiseur, et de Julie Marie Claudine Chavallard (1799-1852), il perd son père à l’âge de onze ans. L’acte de décès du 22 octobre 1838 mentionne qu’Antoine Geoffray « fut retrouvé mort sur le bord du bassin du canal ». Peu d’éléments nous sont parvenus sur l’enfance d’Étienne. Sa mère s’éteint à son tour le 29 décembre 1852. Après des études de droit, il exerce successivement les professions d’avocat, de banquier et d’éditeur d’art. Curieux et cultivé, il s’intéresse vivement au patrimoine architectural, à la sigillographie et surtout à la photographie, discipline à laquelle il consacre une grande partie de son temps. En 1855, il figure parmi les membres fondateurs de la Société Française de Photographie. Installé comme avocat à Roanne en 1855, puis banquier à Charlieu en 1858, Stéphane Geoffray incarne l’érudit du XIXe siècle, passionné et autodidacte. Il collabore avec Gustave Le Gray, dont il perfectionne la technique du négatif sur papier ciré. Dans la foulée, Geoffray publie son Traité pratique pour l’emploi des papiers du commerce en photographie.

Le 26 octobre 1858, il épouse à Servilly (Allier) Marie Virotte, née le 15 juin 1829 au château Gadin. Fille de Jacques Félix Virotte et de Marie Normand de Garat de La Tranchade, elle donne naissance à un fils, Jacques Félix Geoffray, né le 22 août 1859, qui deviendra photographe à la préfecture de police de Paris. En 1875, la famille quitte définitivement Roanne pour Paris, à la suite de difficultés financières. Après la mort de son fils le 14 novembre 1895, puis celle de son épouse le 15 mai 1898, Stéphane Geoffray semble se retirer de toute activité. Il s’éteint le 12 décembre 1905 à 78 ans, dans un relatif dénuement, à la maison de retraite Chardon-Lagache (1 rue Chardon-Lagache, Paris 16e), établissement fondé en 1865 pour accueillir des personnes âgées de condition modeste.

Un véritale artisan de la photographie 

Stéphane Geoffray commence à s’intéresser à la photographie vers 1850, à une époque où cette discipline est encore en pleine expérimentation technique. Avocat de formation et esprit curieux, il aborde ce nouveau médium avec la rigueur d’un chercheur et la passion d’un inventeur. Son intérêt ne se limite pas à la simple pratique : il cherche avant tout à comprendre, à perfectionner et à adapter les procédés existants afin de les rendre plus efficaces et plus accessibles. Malgré la qualité et l’importance de son œuvre, Geoffray n’a pas réellement revendiqué le statut de photographe professionnel. Sa démarche relève davantage de la recherche et de la diffusion du savoir. Son ambition est de mettre la photographie au service de la mémoire collective, d’en faire un outil de documentation et de conservation du patrimoine.

Le mémoire d’Anne Alligoridès (1991) résume son approche en ces termes :

« Geoffray mena, tout au long de sa vie, ses travaux selon trois axes : la recherche du progrès technique en photographie par l’amélioration des procédés existants et l’invention de nouvelles méthodes ; la diffusion de documents pour faciliter l’étude du passé ; et la conservation du patrimoine par l’image photographique. »

Les procédés photographiques de son époque

Lorsque Geoffray débute ses expériences, plusieurs techniques se côtoient.
Le négatif au collodion humide, mis au point en 1851 par Frederick Scott Archer, utilise une plaque de verre enduite d’une solution de nitrate de cellulose, d’alcool et d’éther. La plaque devait être exposée et développée dans un délai très court, tant que le collodion restait humide. Cette méthode, bien que produisant des images d’une grande finesse, nécessitait un matériel lourd et fragile, peu compatible avec les déplacements fréquents de Geoffray.

D’autres techniques reposaient sur le papier plutôt que sur le verre. Le calotype, inventé en 1841 par Henry Fox Talbot, consistait à enduire une feuille de papier de nitrate d’argent, puis à la tremper dans une solution d’iodure de potassium. Ce procédé produisait un négatif sur papier permettant de tirer plusieurs positifs sur papier salé. En 1851, Gustave Le Gray perfectionne cette approche avec le négatif sur papier ciré sec, une méthode qui rend le papier plus translucide et permet de préparer les négatifs à l’avance, sans nécessiter de développement immédiat.

Les innovations de Geoffray

C’est dans ce contexte de bouillonnement technique que Stéphane Geoffray s’impose comme un expérimentateur de premier plan. Il reprend les travaux de Le Gray et cherche à en améliorer la qualité et la stabilité. En 1854, il met au point un papier à la céroléine, une matière grasse issue de la cire d’abeille obtenue par distillation, qu’il fait commercialiser par la papeterie Marion dans le Roannais. Cette innovation permet d’obtenir des négatifs plus homogènes, plus transparents et plus résistants.

Toujours en quête d’amélioration, il expérimente ensuite l’huile de houille comme agent de transparence, puis conçoit en 1856 un procédé au collodion sur papier enduit de gutta-percha, une gomme végétale souple. Ces recherches visent toutes à alléger le matériel nécessaire à la prise de vue et à se libérer des contraintes du collodion sur verre, qui exige un développement immédiat et impose l’usage de lourdes chambres photographiques.

Si Geoffray produit quelques négatifs sur plaque de verre, il privilégie rapidement les procédés sur papier, mieux adaptés à sa vision documentaire de la photographie. Cette orientation lui permet d’entreprendre des campagnes d’inventaire photographique dans la région de la Loire, à Charlieu et à Roanne notamment, où il fixe sur papier les rues, les monuments et les bâtiments menacés de disparition.

Reconnaissance et transmission

En 1855, Geoffray participe à l’Exposition universelle de Paris, où il reçoit une médaille pour la qualité de ses épreuves. Il devient cette même année membre de la Société Française de Photographie, à laquelle il remet plusieurs tirages entre 1855 et 1857. Ses échanges avec Gustave Le Gray, qui reconnaît la valeur de ses observations publiées dans la revue Cosmos, témoignent du respect que lui vouaient ses pairs. Vers la fin des années 1850, Geoffray forme probablement Félix Thiollier, futur photographe et industriel stéphanois, à la pratique photographique. Cette transmission témoigne de son rôle discret mais essentiel dans la diffusion de la photographie en province.

Durant sa période parisienne, Geoffray se consacre à d’autres activités intellectuelles. Il fonde plusieurs sociétés, dont la Société iconographique, à travers laquelle il publie une Iconographie des départements (Loire). Entre 1891 et 1894, il rédige encore deux traités historiques, prolongeant ainsi son engagement en faveur de la connaissance et de la mémoire du passé. Par sa démarche à la fois scientifique et patrimoniale, Stéphane Geoffray incarne parfaitement l’esprit du XIXᵉ siècle : celui d’un érudit pour qui la photographie est à la fois un art, une science et un instrument de conservation du monde.

     

Le patrimoine dans l’objectif de Stéphane Geoffray

En 1851, la Commission des Monuments Historiques entreprend une vaste campagne visant à photographier le patrimoine national, une initiative connue sous le nom de Mission Héliographique. Quelques années plus tard, loin de Paris, Stéphane Geoffray mène sa propre mission héliographique, avec la même rigueur documentaire.

Méthodiquement, rue après rue, il immortalise la ville de Roanne. Son travail est d’une précision remarquable : un comparatif avec le cadastre de 1864 suggère que rien n’échappe à son objectif. Cliché après cliché, se dessine le visage d’une ville qui conserve encore l’allure d’une grosse bourgade rurale. Seuls quelques indices témoignent de son caractère urbain : lampadaires, rues commerçantes pavées alors que la majorité des voies sont en terre battue, et des immeubles qui ne présentent pas de caractère architectural notable.

Au-delà de Roanne, Geoffray étend sa documentation aux communes voisines, comme Charlieu et Vougy, constituant ainsi un corpus photographique d’une importance exceptionnelle, qui permet aujourd’hui de retracer l’aspect du territoire de la Loire au milieu du XIXe siècle.

Les collections de Stéphane Geoffray

Une grande partie de ce corpus est conservée au sein des collections patrimoniales des Médiathèques Roannais Agglomération et fait partie d’un don de M. Varinard des Côtes en 1957. Il comprend : 

En 2015, le centre hospitalier de Roanne a redécouvert dans ses bâtiments, 1 album de 18 vues formant un panorama, complété de 2 vues supplémentaires sur Roanne. En accord avec la municipalité de Roanne, ce document a été cédé gracieusement à la médiathèque. Il a bénéficié d’une restauration et d’une campagne de numérisation.

La médiathèque a aussi eu l’opportunité d’acquérir 57 négatifs sur la ville de Charlieu en 2020 et 9 autres avec leurs tirages modernes en 2025. La restauration des négatifs a été confiée à Annabelle Simon. Cet investissement a lieu grâce au concours de l’État (DRAC Auvergne-Rhône-Alpes) et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes dans le cadre du Fonds Régional de Restauration et d’Acquisition pour les Bibliothèques.

D’autres institutions possèdent également des épreuves ou négatifs de Geoffray :

Grâce à ces documents, l’œuvre de Geoffray demeure une source précieuse pour l’histoire urbaine et patrimoniale de la région roannaise et un exemple majeur de la mission héliographique en province, menée avec méthode et précision par un photographe passionné.

L’œuvre photographique de Stéphane Geoffray dépasse en réalité le simple cadre artistique : elle est scientifique, documentaire et patrimoniale. Par ses innovations techniques, ses expérimentations et ses inventaires méthodiques, il a contribué à la mise en valeur et à la conservation du patrimoine provincial français. Les collections conservées à la Médiathèque Roannais Agglomération, à la Bibliothèque nationale de France et dans d’autres institutions témoignent de la richesse de son travail et de sa vision, qui allie curiosité intellectuelle et exigence technique. Geoffray laisse ainsi un héritage durable, à la croisée de la photographie, de l’histoire et de la mémoire des villes qu’il a patiemment fixées sur papier.

Sources et Bibliographie

BF 402 - Stéphane Geoffray : 1827 - après 1895, Charlieu et ses environs en 1850-1860, la collection intégrale d'un fonds de négatifs-papier, vente aux enchères publiques. Paris, Drouot-Richelieu, 29 mars 1994, imp. Bahy, 1994

F 4270 - Stéphane Geoffray photographe (1827-après 1895), Mémoire d’Histoire de l’art, Anne Alligoridès, Paris X-Nanterre, 1991

FR 46 - Traité pratique pour l'emploi des papiers du commerce en photographie : Nouveaux procédés améliorateurs. Préparations préliminaires pour épreuves positives et négatives, Stéphane Geoffray, Paris : Delahaye, 1855

F 5721 - Itinéraire pittoresque en Forez avec Félix Thiollier (1842-1914), Christine Boyer-Thiollier, Marie-Odile Moulager, Saint-Etienne : Département de la Loire, 2011

Exposition virtuelle Au temps des photographes