Techniques à la loupe

Lier-relier tisse du lien entre l'histoire de la reliure et la maîtrise technique.

Le titrage

La réalisation d’une reliure s’achève par le travail du doreur dont l’apposition du titre, opération minutieuse et irréversible. Sa réussite dépend de plusieurs paramètres qui sont le centrage et la rectitude des mots, la fermeté et la pression du geste, la température de l’outil utilisé ainsi que la qualité du cuir de couvrure et la bonne exécution du dos du livre.

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le titrage était obtenu grâce aux empreintes créées par de petites lettres emmanchées individuellement dans du bois (lettres à tige), poussées successivement côte à côte sur le cuir. Les inconvénients de cette technique étaient un alignement aléatoire de celles-ci ainsi que des mots tronqués à cause d’espacements irréguliers entre elles.

Depuis 1780, le matériel employé se compose de polices de caractères dont les lettres et les cadrats (espaces) sont glissés et serrés dans des composteurs, outils rectangulaires rainurés munis de manches en bois. Les mots sont ainsi droits et correctement espacés avant l’exécution de la dorure.

Bien qu’à l’apparence similaire, le matériel diffère de celui utilisé en imprimerie puisque le doreur travaille avec des outils en bronze, chauffés, tandis que l’imprimeur travaille à froid avec des outils en plomb.

Les polices de caractères pour le titrage sont l’Elzevir aux empâtements triangulaires, le Didot aux empâtements rectangulaires et le bâton sans empâtements.

Les positionnements du nom de l’auteur, du titre et des autres indications telles le sous-titre, la tomaison, l’année d’édition, le nom du propriétaire… sont soumis à des règles et des calculs permettant l’obtention d’un titrage élégant et équilibré.

Les décors modelés et incisés

Le modelage et l’incision du cuir forment des décors appréciés par les relieurs professionnels et amateurs de la fin du XIXe siècle. Ils reprennent les techniques médiévales utilisées par des moines allemands pour orner les reliures de manuscrits, elles-mêmes issues du savoir-faire des gainiers.

Le modelage crée un relief sur la couverture. Les contours des motifs, préalablement dessinés sur le cuir, sont incisés puis leurs pourtours sont écrasés grâce à différents matoirs, laissant ainsi les motifs en surépaisseur.   

L’incision forme quant à elle un creux sur la couverture. Un sillon est taillé en v sur le cuir à l’endroit du dessin préalablement tracé, puis ses bords sont brulés grâce à un burin chauffé afin d’affirmer la profondeur.

  

Ces deux procédés peuvent se mêler sur une même réalisation et chacun peut-être rehaussé de couleur ou agrémenté de dorure traditionnelle.

D’autre part, ils permettent aux personnes ne possédant pas l’onéreux matériel de dorure ni la maîtrise de son utilisation, la création de fantaisie sur leurs reliures.

Malgré les possibilités offertes, ces décors ne font pas d’émules au-delà de 1910.  En effet si quelques rendus sont remarquables, la plupart sont assez inesthétiques et font dire au maître relieur Pétrus Ruban (1851 – 1929) : « Il ne manque à ces reliures qu’un verre bombé pour être accrochées au cimetière du  Père Lachaise ».

La dorure sur tranche

Dorer les tranches des livres est une technique qui apparait au XVIe siècle, simultanément à l'utilisation d'or pour décorer les couvertures des reliures. Elle a pour but d'enrichir le travail exécuté sur le livre mais également de protéger le papier de la poussière et de prévenir les attaques de rongeurs et d'insectes.

La tranche recevant la dorure est avant tout rognée puis poncée de façon à être lisse. Maintenue serrée dans une presse à main, elle est enduite de colle puis de bol d'Arménie, une argile rouge. Cette dernière possède un double rôle ; elle garantit l'adhérence des feuilles d'or et leur octroie une teinte chaude. Enfin une préparation de blanc d'œuf dilué est appliquée juste avant le dépôt des feuilles d'or. Une fois sèche, la tranche est frottée avec différentes pierres d’agate emmanchées avant d’être recouverte d’une légère couche de cire.

L'effet décoratif peut-être accentué par ciselure de la tranche, en traçant en creux dans le papier un motif dont les reliefs offrent des reflets.

Au fil du temps les tranches reçoivent des décorations moins onéreuses néanmoins esthétiques, elles peuvent être cirées, jaspées, mouchetées, marbrées, peintes… et si les trois tranches sont à même d’être ornées, souvent seule celle de tête reçoit ce privilège.

La couture

La couture des livres devient habituelle à partir du IIe siècle ap. J.-C. Elle consiste à attacher par un fil les feuillets pliés les uns dans les autres pour éviter de les mélanger ou de les perdre.

C'est elle qui donne, au XIIe siècle, le verbe relier du latin ligare signifiant lier ainsi que le nom ligator désignant le relieur.

La couture est primordiale dans l’ossature d’une reliure.

En plus d’assembler les cahiers, elle permet, grâce au choix du fil, de donner un tiers d’épaisseur au dos du livre. Celui-ci est nécessaire afin de créer l’arrondi du dos ainsi que les angles nommés mors, dans lesquels se logent les cartons pour former l’articulation des plats.

Elle se réalise sur un bâti en bois nommé cousoir sur lequel sont tendus des rubans. L’aiguillée de fil de lin fixe chaque cahier aux rubans ainsi qu'au cahier précédant et au suivant.

Une fois le livre cousu, les rubans vont servir à fixer les cartons de la couverture.

Il existe de nombreuses façons de coudre les livres ; sur ruban, septain, ficelle, nerf, double nerf, à cahiers sautés, deux aiguillées, points longs, croisée, pamphlet…

Cachée durant des siècles, la couture est aujourd’hui dévoilée grâce aux nouvelles techniques de reliure contemporaine. Celles-ci font d'ailleurs davantage que la rendre visible lui octroyant le rôle de décor.

La mosaïque

La mosaïque est un art décoratif né en Mésopotamie il y a environ 6 000 ans. Elle consiste à découper de fins morceaux de matière puis à les coller sur une surface afin de la décorer. Ce procédé permet de créer des motifs géométriques ou figuratifs avec de la pierre, de la céramique, du bois… et du cuir.

Étant une technique de décoration à part entière, elle est réalisée sur les livres reliés par le doreur et non par le relieur. Sa pratique apparait au XVIIe siècle. Il s’agit alors de petites bandes de peau nommées listels. C’est à la fin du XIXe siècle que Marius Michel fils renouvèle son utilisation en employant des surfaces de cuir plus grandes et aux formes diverses afin de créer des décors floraux. La mosaïque devient alors la principale technique d’ornementation des reliures au détriment des fleurons dorés et ce durant tout le XXe siècle.

Le cuir choisi pour la réalisation de la mosaïque est aminci le plus finement possible puis doublé sur du papier pour être rigidifié. Le motif de la mosaïque est quant à lui tracé sur une mise au point (feuille translucide) servant à reporter sa forme tant sur le cuir doublé que sur la couverture du livre. Une fois découpée, la mosaïque est élaguée tandis que son emplacement sur la reliure est gratté pour créer une zone d’accroche à la colle. Deux finitions sont possibles après son collage, soit ses contours sont sertis en dorure à chaud ou à froid soit ils sont laissés à bord franc.

Le transfert d'image

L’histoire de l’ornementation du cuir sur les couvertures des reliures est une longue succession de modes qui suivent les courants artistiques de chaque époque. Si les compositions décoratives sont nombreuses et variées, leurs techniques de réalisation sont assez restreintes.

Au traçage à l’aide d’outils succèdent l’estampage, la dorure à froid puis celle à chaud, les motifs teintés à l’encre et enfin la mosaïque. Ces procédés, apparus progressivement durant 15 siècles, sont toujours utilisés.

Depuis la seconde partie du XXe siècle, ce sont les effets de matières et les patines qui sont recherchés. La technique du transfert appartient à ce genre. Réalisable sur de nombreux supports dont le cuir, elle permet le report d’une image figurative en évitant un collage.

L’image à transférer, préalablement tirée par une imprimante laser, est placée face au cuir. La solution chimique qui permet le report de l’encre d’une surface à l’autre est l’acétone. Elle s’étale au pinceau et doit être de suite soumise à la pression d’un outil genre plioir car elle est particulièrement volatile.

Le résultat du transfert dépend des contrastes de l’image, de la quantité d’acétone, de la force de la pression et des propriétés du cuir.

La dorure à froid

Dès le VIe siècle, les reliures reçoivent des décorations géométriques tracées sur le cuir. Leur succèdent au Moyen-Âge, les empreintes de plaques de bois gravées pressées sur les couvertures. Cette technique est remplacée à partir du XVe siècle par l’usage de fleurons, outils gravés dans le bronze, emmanchés dans du bois. Le fleuron chaud est appliqué sur le cuir légèrement humidifié laissant la trace du motif plus ou moins brune en creux.

L’appellation dorure à froid est antinomique puisque l’outil est utilisé chaud. Elle correspond à une dorure sans apport d’or, visuellement similaire aux premières pratiques de décoration.

Toujours utilisée de nos jours, elle nécessite une maitrise parfaite de l’équilibre entre la chaleur du fleuron et le taux d’humidification du cuir de façon à obtenir une trace de couleur homogène.

La dorure à chaud

Le XVIe siècle voit l’apparition de la dorure avec apport d’or sur les reliures françaises. Ce savoir-faire, nommé dorure à chaud, existait déjà en Perse au XIVe siècle et en Italie vers 1480.

Une bande de feuille d’or est couchée sur le cuir préalablement apprêté d’une solution à base de blanc d’œuf. Un fleuron chaud (outil en bronze emmanché dans du bois) s’appliquant avec pression et balancement, crée l’empreinte de son motif en creux. L’or est instantanément capturé au fond de cette trace grâce à la solution servant de fixateur.

Pour avoir une dorure chargée et chatoyante, le doreur doit répéter l’opération à trois autres reprises, la difficulté étant de se repositionner impeccablement dans la première empreinte. Le procédé est le même pour le titrage de lettres.

Au cours des siècles, les couvertures des reliures, autant que leur dos, ont reçu des ornementations somptueuses tels les décors à la fanfare, les semis royaux, les dentelles, les pastiches, les dos en caisson