Techniques d'aujourd'hui

Lier-relier tisse du lien entre l'histoire de la reliure et les techniques contemporaines.  

La reliure en bois

À partir du VIIe siècle, les techniques d’assemblage du livre commencent à utiliser des planchettes de bois nommées ais afin d’obtenir des plats rigides pour les reliures. Cette pratique devient systématique au Moyen-Age durant lequel les ligators (moines relieurs) utilisent principalement du sapin, de l’orme, du chêne et du cèdre qu’ils couvrent d’étoffe, d’ivoire, de pierres précieuses ou de cuir. Le bois n’est alors qu’un support, remplacé au XVIe siècle par le carton plus léger et malléable.

Dans les années 1990, Alain Taral mêle ses expériences d’ébéniste marqueteur et de relieur en exécutant des reliures en bois apparent. Ses premiers travaux utilisent les techniques traditionnelles de la reliure et du bradel, n’offrant que la possibilité de réaliser des plats en bois. En effet le dos et les mors (articulation des couvertures) doivent-être recouverts d’un matériau souple comme le cuir, le papier ou le tissu afin de garantir l’ouverture du livre. Les recherches du créateur l’amènent à concevoir un système de « charnière composée d’un emboîtage de bois traversé par un axe invisible en acier » permettant une reliure intégralement en bois.

Cette technique est aujourd’hui marginale. Alain Taral et les quelques relieurs la pratiquant utilise le chêne, le noyer, l’acacia, le merisier, l’acajou… mais aussi l’ébène, le tulipier, l’érable… qu’ils utilisent selon les veinures et les teintes, en placage ou en mosaïques, naturels ou teintés, dans des compositions géométriques ou figuratives. Des matériaux nobles pour une technique ardue et une esthétique originale.

La reliure tressée

En 1994, le relieur Jacky Vignon expose une reliure souple dont il vient de concevoir la technique : la reliure tressée. La présence des tressages dans notre quotidien lui a inspiré ce montage basé sur des bandes de cuir passant les unes par-dessus les autres.

Un travail préparatoire minutieux est nécessaire à la réalisation. Un dessin sur papier millimétré permet de définir le nombre, la dimension ainsi que l’emplacement de chaque bande. Celles-ci doivent être constituées de deux épaisseurs de cuir collées chair contre chair afin d’obtenir une rigidité permettant de ne pas utiliser de carton en guise de couverture.

Ce sont les bandes horizontales qui détiennent le rôle principal de cette structure puisqu’elles servent de support à la couture du livre ainsi que de base au tressage. Elles doivent avoir la longueur totale de la largeur du plat recto ajoutée à celles du dos et du plat verso. Les bandes verticales passent quant à elle, et tour à tour, dessus dessous les bandes horizontales créant ainsi le tressage. A chaque point de superposition les bandes sont fixées ensemble par collage ce qui maintient le tressage. La couture, réalisée lorsque la couverture tressée est terminée, est apparente.

Le principe même de cette reliure est un décor offrant des possibilités de création infinies grâce aux dimensions des bandes, aux textures et teintes des cuirs, au choix de la couture et à la couleur du fil.

La reliure à structure croisée

C’est en restaurant des reliures anciennes dans les années 1990, que la relieure Carmencho Arregui a l’idée du montage qu’elle nomme reliure à structure croisée.

Les techniques de reliures à coutures apparentes utilisées avant le Moyen-Age ainsi que les reliures en parchemin du XVIe siècle, dont la reliure hollandaise ou la reliure de Lyon, lui inspirent une couverture à la façon d’une enveloppe épousant au plus près le livre : La peau qui recouvre chaque plat se prolonge de bandes, celles-ci se croisent sur le dos du livre, sont fixées sur le plat opposé et servent de support à la couture visible à l’extérieur. La créatrice explique « Prenez dans une main un livre de petit format ; imaginez que vos doigts, légèrement écartés, soient cousus le long du dos du livre ; quand l’autre main rejoint la première, les doigts se croisent ».

Ce procédé permet une conservation optimale de l’ouvrage puisque le livre n’est ni grecqué, ni encollé, ni endossé. Il peut utiliser des plats souples, semi-rigides ou rigides en fonction de la taille et de l’épaisseur du document. Enfin, grâce à son ajustement aux cahiers du livre et par la solidité de la couture, il permet une ouverture totale de la reliure sans risquer de casser le dos ou les mors.

À partir d’explications concernant son invention, Carmencho Arregui invite les relieurs contemporains à réfléchir et à effectuer des essais techniques. Les réalisations des trente-six participants accompagnées de croquis explicatifs sont présentées lors d’une exposition à la librairie Claude Blaizot à Paris en 1996.

La reliure criss-cross

En 2010, la relieure Anne Goy obtient une bourse de recherche de l’Atelier du Livre de Mariemont en Belgique afin de poursuivre la conceptualisation d'une nouvelle technique d’assemblage du livre qu'elle a préalablement imaginée.

Son projet a pour impératifs la réalisation d’une reliure combinant une technique simple à une esthétique graphique, la bonne conservation du papier par le non usage de colle ainsi qu'une ouverture aisée du livre à la lecture.

La créatrice conçoit de nombreux prototypes à base de charnières, de lanières et autres systèmes d’articulation avant d’imaginer une couverture en trois parties indépendantes, plat recto, dos, plat verso, assemblés grâce à un épais fil de lin. Le rôle de ce dernier est primordial. En plus de maintenir liés les éléments de la couverture, il sert de support à la couture des cahiers, prend part au décor de la reliure et donne son nom à la technique, l’appellation criss-cross évoquant ses nombreux allers retours croisés.

En fonction de l'ouvrage, ce système ingénieux peut être exécuté comme une reliure rapide et peu onéreuse, une reliure de conservation à long terme ou une reliure d’art originale.

La reliure à charnière piano

En restaurant des reliures anciennes, les relieurs de la fin du XXe siècle s’aperçoivent des méfaits de certaines opérations laissant des traces irrémédiables au livre.

Tel est le cas du grecquage consistant à entailler, à la scie, le dos des cahiers afin d’y passer l’aiguillée de fil pour la couture.

De même pour l’endossure formant, au marteau, l’arrondi du dos ainsi que les angles dans lesquels s’effectue l’articulation de la couverture.

Ou encore des passages successifs de colles agressives.

Une réflexion est menée pour bannir ces opérations irréversibles et trouver des solutions de remplacement.

Françoise Wicker, invente la reliure à charnière piano.

Des bandes de papier gainées de cuir sont cousues dans le dos de chaque cahier puis entaillées et décalées en quinconce.

Des tiges métalliques (cordes de piano) passent dans ces bandes en reliant les cahiers deux par deux puis les couvertures.

L’articulation de la reliure est donc due à ce système de charnières et non à l’endossure. Le livre est cousu sans grecquage, les cahiers étant percés par la seule aiguille. De plus, aucune colle n’est utilisée sur le papier du livre.

Ce montage ingénieux, minutieux à réaliser, offre en plus d’une conservation optimale du livre, une esthétique originale du dos de la reliure.

Jean de Gonet

Dans les années 1980, Jean de Gonet, jeune relieur né en 1950, commence à faire parler de lui. Sa conception de l’art de la reliure opère une transformation radicale qui va révolutionner tant la technique que l’esthétique du livre relié.

Depuis le XVe siècle, le long déroulé des opérations nécessaires à la réalisation d’une reliure est identique. La structure et l’aspect physique de celle-ci sont également restés les mêmes, seuls quelques matériaux, opérations et décorations ont évolué.

Jean de Gonet, décidé à dévoiler ce qui ne se voit pas lorsque le travail est terminé, rend visible l’ossature de la reliure. Ainsi la couture et les attaches des plats, les opérations primordiales, deviennent apparentes et ne servent plus seulement la technique, elles prennent un nouveau rôle, celui de décoration.

L’innovation de Jean de Gonet se situe également dans le choix des matériaux employés. Au cuir, il ajoute le bois, le carbone, le caoutchouc, le kevlar… qu’il teinte pour jouer avec les couleurs.

Enfin, concernant le décor, il délaisse la dorure et les mosaïques au profit des effets de matière en mêlant les aspects lisses, grenus, gaufrés, striés, estampés…

De fait, Jean de Gonet initie le renouveau du métier. Les relieurs contemporains s’emparent de ses démarches et créent une dizaine de nouvelles structures aux apparences diverses et originales. Celles-ci n’ont plus rien de commun avec la reliure traditionnelle comme le donnent à voir la reliure à charnière piano ou la reliure à mors ouvert.

La reliure asiatique

Développée en Chine à partir du XIVe siècle, la reliure traditionnelle asiatique consiste à assembler d’un fil un ensemble de feuillets percé de part et d’autre par des trous. La couverture, en papier ou en tissu, est maintenue grâce à la même couture. Celle-ci forme habituellement un motif rectangulaire.

Le relieur contemporain Florent Rousseau s’interroge sur l’adaptabilité de cette technique aux livres imprimés avec des marges insuffisantes pour y recevoir les trous. Il imagine prolonger le dos de chaque cahier par une bande de papier cousue qui recevra le perçage et la couture. De ce fait le livre n’est pas détérioré et sa lecture aisée. Les couvertures rigides s’habillent de cuir et/ou de papier, la couture prenant part au décor peut tisser des motifs fantaisistes à plusieurs couleurs. On parle alors de reliure à la japonaise.