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Une curieuse chose aux drôles de couleurs

Le titre de ce document pourrait-être Ballon Caquot immortalisé par anaglyphe. Mais quelles sont les significations de ces termes peu connus ?

Le sujet - Un ballon comment !?

Un ballon est un aéronef de la famille des aérostats (montgolfière, dirigeable). Son élévation est possible grâce à la poussée d'Archimède. Pour ce faire, soit il est gonflé d’un gaz plus léger que l’air, tel l’hélium ou l’hydrogène, soit il est empli d’air chaud.

Ce dernier phénomène est déjà utilisé au IIIe siècle après J.-C. par les militaires chinois pour faire envoler des lanternes indiquant des positions stratégiques.

En Europe, il faut attendre 1783 et les frères Montgolfier pour que le premier ballon, réalisé en toile et papier, s’élève grâce à un feu de paille mouillée mélangée à de la laine. Trois mois plus tard, c’est l’hydrogène qui permet la prise d’altitude au ballon recouvert en soie vernie de Jacques Charles et des frères Robert. Débute alors une  véritable course à la conquête du ciel entre ceux qui voleront plus haut, plus loin, qui élèveront les premiers êtres vivants, les premiers humains et enfin qui réussiront à traverser la Manche.

En 1794, est créée en France, la première unité aérienne du monde, la Compagnie d'aérostiers (aéronautes militaires). L’utilisation d’un ballon captif (ancré au sol) est immédiate pour observer la coalition ennemie lors de la bataille de Fleurus. Dès lors, leur production se développe et atteint son apogée durant la Première Guerre mondiale. Tant à terre pour observer le champ de bataille que sur mer pour détecter les sous-marins, le ballon d’observation sert également à régler les tirs d’artillerie.

C’est au début de l’année 1915 que le capitaine Albert Caquot, aérostier, en conçoit un nouveau genre.

Le ballon Caquot est plus stable que ses prédécesseurs aux formes sphériques grâce à sa conception ovoïde et à ses trois empennages fixés à 120°. Il évite ainsi la balance pendulaire qui provoquait des nausées aux observateurs. Sa capacité de 750 à 1000 m3 d’hydrogène lui permet d’emporter deux ou trois hommes jusqu’à 1000 mètres d’altitude environ.

Arrimé au sol grâce à deux câbles treuillés par des moteurs à essence, il est à même de résister à des vents allant jusqu’à 125 km/h. Ce qui n’empêche pas la tempête du 5 mai 1916 d’emporter 24 d’entre eux, faisant parmi les 28 aérostiers 5 morts, 2 blessés et 9 prisonniers directement conduits dans les lignes ennemies.

L’équipage est muni d’un câble téléphonique puis d’un poste de transmission afin de passer directement les informations au sol. Des armes de défense sont également embarquées. En effet, les aérostiers sont souvent la cible du feu aérien ennemi comme le vécut le Lieutenant Maurice Beaufeist le 26 aout 1917 lors de l’attaque de son ballon par deux chasseurs allemands. L’état de sidération psychique dans lequel il fut plongé ne le fit jamais remonter dans un aérostat.

À partir de 1917, les ballons et leurs câbles sont utilisés comme barrages contre les bombardiers, les obligeant à prendre de l’altitude et de fait à réduire leur chargement en munitions.

Durant la totalité du conflit, le ballon Caquot est utilisé par l’ensemble de l’armée alliée et copié par l’armée allemande.

La France en a fabriqué 4 200 dont 1 700 ballons d’observation et 2 500 ballons barrage. Il a été utilisé au Royaume-Uni jusque dans les années 1960 pour le test des parachutes, l'observation et la photographie aérienne.

Anaglyphes 3D - Fonds photographiques Chevalier - Mémo Roanne

Schéma vision binoculaire

Le support - Un ana quoi !?

Le cliché photographique de ce ballon est un anaglyphe. Il s’agit d’un procédé stéréoscopique reproduisant un relief à partir d’une image plane.

Rappelons le principe de la vision en relief décrit en 1838 par Charles Wheatstone. Nos deux yeux espacés d’environ 6 cm (vision binoculaire) regardent vers la même direction mais perçoivent deux images légèrement différentes. Ces deux images sont envoyées au cerveau qui les fusionne pour en faire une unique image tridimensionnelle. La profondeur est rendue grâce à la convergence des deux yeux sur un point donné et sa persistance dans le cerveau lorsque les yeux se déplacent sur un autre point.

Des expériences mènent le physicien anglais à réaliser des illusions optiques. Il confectionne une paire de dessins représentant le même sujet toutefois non parfaitement symétrique, un écart de quelques millimètres est créé sur le plan horizontal. Chacun des dessins est destiné à un œil.

Puis il fabrique le premier stéréoscope qui va obliger chaque œil à regarder l’image qui lui est destiné sans pouvoir regarder celle de l’autre œil. Ainsi l’image reconstituée par le cerveau est elle en relief.

L’année suivante, en 1839, une autre invention majeure devient publique grâce à Louis Daguerre ; la photographie (bien que Nicéphore Niepce ait réalisé le premier cliché sur une plaque d’étain en 1827).

Immanquablement ces deux techniques se rencontrent et évoluent. Les premiers essais de photographies stéréoscopiques sur plaques de verre sont menés dès 1841 et mettent une dizaine d’années pour devenir concluants. Ces photographies prennent le nom de vues stéréoscopiques. Leur succès est phénoménal, elles sont produites par millions, traitent tous les sujets (paysages, personnages, monuments, scènes érotiques, historiques, de théâtre…), deviennent accessibles à l’ensemble de la population et finissent par être développées sur du papier contrecollé à du carton.

En 1891, Louis Ducos de Hauron, poursuivant des travaux existants, met au point le procédé qu’il nomme anaglyphe (sculpté en relief). Il conserve le principe de décalage des vues stéréoscopiques mais supprime l’utilisation du stéréoscope qu’il remplace par un système de coloration. La photographie de gauche est teintée en rouge, celle de droite en cyan avant d’être superposées pour n’en former qu’une.

Stéréoscope


L’observateur doit porter une paire de lunettes dont le verre gauche est également teinté en rouge et le verre droit en cyan. Entre alors en jeu les synthèses additives et soustractives des couleurs selon leurs ondes. Pour simplifier ; rouge sur rouge l’œil gauche ne perçoit que les parties de la photographie sombres donc cyan alors que, cyan sur cyan l’œil droit ne perçoit que les parties de la photographie claires donc teintées en rouge. Ainsi chaque œil reçoit bien une image lui étant destiné, le cerveau les assemble et reconstitue le relief.

À partir de 1915, l’anaglyphe connaît une nouvelle utilisation puisqu’il s’allie au cinématographe (inventé en 1895 par les frères Lumière) pour donner naissance au cinéma 3D.

Si l’usage des vues stéréoscopiques est peu à peu délaissé jusqu’à disparaitre totalement dans les années 1950, celui de l’anaglyphe est toujours d’actualité dans le cinéma 3D, les jeux vidéo, les photos en relief (dont celles de la NASA pour les vues de l’espace)…

Cette photographie Ballon en observation, pouvant paraître peu intéressante au premier regard, est un condensé de deux inventions humaines marquantes dans des domaines différents cependant tout aussi passionnants.

Deux ambitions prométhéennes réussies, s’élever dans les airs et figer la réalité du présent.