"Le Courrier de Roanne cessera prochainement sa publication. Les nombreuses amendes dont il a été frappé, l'interdiction de vente sur la voie publique, et de la distribution par ses employés aux abonnés, ont obligé ses propriétaires à prendre cette décision". C'est par ces mots qu'est annoncée aux lecteurs, le 20 avril 1873, la disparition prochaine du Courrier de Roanne après seulement 4 années d'existence.
Mais que s'est-il passé pour que ce titre de presse disparaisse aussi rapidement ?
Lorsque la presse était corsetée
Tout avait pourtant bien commencé pour l'hebdomadaire dont le premier numéro, sorti le 8 mai 1869, se démarquait de son concurrent direct, le Journal de Roanne, par une ligne clairement républicaine. Cette orientation politique affichée ne pouvait que surprendre, alors que Napoléon III dirigeait la France depuis 17 ans et que l'on imagine la presse de l'époque, soit chantant les louanges du pouvoir en place, soit inexistante.
Durant les premières années du Second Empire, la presse fut en effet muselée afin de faire taire l'opposition républicaine. La loi du 17 février 1852 mettait les journaux sous tutelle administrative, grâce à une armada de procédés : le monopole postal, imposant l'abonnement individuel comme seul moyen de diffusion (et fichant du même coup les abonnés), la surveillance accrue du colportage et de la vente sur la voie publique des imprimés non périodiques ou le rétablissement du droit de timbre, pourtant supprimé en 1851. À ces contraintes s'ajoutaient la suppression de quotidiens démocrates et la mise en place d'un système d'avertissement, destiné à décourager les feuilles polémiques. Un simple rappel à l'ordre sanctionnait le premier, tandis que la suspension temporaire du titre découlait du deuxième. Le troisième avertissement amenait à une interdiction définitive de publication. Le plus souvent, la simple menace d'un avertissement suffisait.
Alors comment, dans ce contexte restrictif, un titre tel Le Courrier de Roanne, férocement Républicain, a-t-il pu voir le jour ?
Une naissance sous les auspices de la Liberté
Tout simplement grâce à un assouplissement de l'Empire qui, d'Autoritaire de 1852 à 1860, devint Libéral à partir de 1860. Face à des succès intérieurs et extérieurs, notamment l'aide apportée par la France à l'unification de l'Italie, la popularité de l'Empereur augmentait. Rassuré, ce dernier relâcha progressivement les mesures prises contre l'opposition libérale. Stratège, il le fit surtout pour saper la base des mouvements révolutionnaires, républicains ou royalistes. Des réformes furent lancées, dont certaines visant à desserrer le carcan répressif pesant sur l'opinion et la presse. Cela aboutit, entre autres, à la promulgation de la loi du 11 mai 1868 rendant une certaine liberté à la presse. Abolie, l'obligation d'autorisation préalable ! Abrogés, les avertissements ! Allégé le timbre-taxe (d'1 petit centime) ! Dès lors, libérés de la censure et du risque de fermeture, de nombreux titres de presse firent leur apparition. La conjonction de la promulgation de cette loi et de l'organisation des élections législatives de 1869 constitua un terreau idéal pour l'émergence de nombreux titres d'opposition, à Paris comme dans le reste de la France. Le Courrier de Roanne pouvait donc voir le jour, sous l'impulsion d'Honoré Audiffred, futur sous-préfet de Roanne, futur député républicain de la Loire et futur sénateur. Jusqu'alors, dans cette ville, seuls deux titres de presse se partageaient les faveurs des lecteurs : L'Écho Roannais et Le Nouvel Écho de la Loire (futur Journal de Roanne). Si le premier présentait une ligne éditoriale plutôt légitimiste-cléricale, le second était d'opposition modérée et constituait un soutien indéfectible au maire bonapartiste de l'époque : Charles Boullier.
Une vie dédiée à la cause républicaine
L'apparition du Courrier de Roanne vint apporter une voix dissonante dans ce paysage journalistique assez consensuel. Dès le premier numéro, le ton était donné. Dans son éditorial le rédacteur en chef, Mauduit, exposait les ambitions de ce nouveau titre de presse : soutenir la candidature de Jules Favre aux élections législatives de 1869 et donner à la démocratie roannaise un organe de presse indépendant, accessible et défendant l'intérêt de tous. Au-delà du fait de soutenir un parti politique, l'équipe de collaborateurs du journal caressait le doux espoir de participer à "lutter contre l'ignorance et l'arbitraire et de répandre l'instruction dans les campagnes afin que les citoyens connaissent leurs droits et devoirs". Cette défense de l'instruction obligatoire, nécessaire à la formation de tout bon citoyen, fut mainte fois réitérée dans les colonnes du journal, préfigurant en cela la loi Jules Ferry de 1882.
Si le programme était ambitieux, les premiers numéros furent presque entièrement dirigés vers un seul but : soutenir la candidature de Jules Favre, aux élections législatives de 1869, dans la circonscription de la Loire et face au poulain du gouvernement, Claude Dechastelus. Si Jules Favre s'est porté candidat pour ce siège, alors qu'il est Lyonnais et chef de file du parti Républicain au niveau national, depuis 6 ans, c'est avant tout parce qu'il n'a pas oublié que ce sont les Roannais qui lui ont permis de siéger à la Constituante en 1848. Cette fidélité pour service rendu, Favre la réitéra en précisant que s'il venait à remporter les élections dans plusieurs circonscriptions, son choix se porterait sur celle de la Loire. Malheureusement, malgré le soutien sans faille du Courrier de Roanne, de personnalités et de politiques locaux, Favre fut battu, avec 10 229 voix contre 19 693. Il le fut aussi dans le Rhône où il s'était également porté candidat… tout comme dans 13 autres circonscriptions. Ce désaveu, étonnant pour un homme de l'envergure d'un Favre, s'explique par l'arrivée sur le marché politique, de jeunes et fougueux candidats républicains, bien plus extrémistes, tels Léon Gambetta ou Henri Rochefort. C'est d'ailleurs face à ce dernier que Favre finit par triompher dans la 7e circonscription de Paris.
Une mort sous le signe de l'Ordre moral
Les élections législatives de 1869 passées, Le Courrier de Roanne ne semblait plus avoir de raison d'être. D'autant plus que les actualités locales n'étaient pas au cœur de la ligne éditoriale. Les informations politiques, à moins qu'elles n'entrent en résonnance avec l'actualité nationale, et les petites annonces étant relayées en dernières pages.
Cependant, les évènements de 1870 allaient bientôt donner un second souffle au journal. Il se positionna naturellement contre le plébiscite du 8 mai 1870, voulu par Napoléon III pour affirmer son pouvoir et consolider l'Empire ; s'opposa à la déclaration de guerre de la France à la Prusse le 19 juillet 1870 ; pris faits et causes pour l'avènement de la Troisième République le 4 septembre suivant. La proclamation de cette dernière fut annoncée dans le numéro du 11 septembre, par le nouveau rédacteur en chef Critot. Ce dernier venait de succéder à Emile Maudoulé, poussé à la démission par les administrateurs du journal, pour avoir rédigé un article sur l'assassinat de Victor Noir.
À la faveur de ces changements de direction et face à l'emballement des évènements, la ligne éditoriale du Courrier de Roanne évolua quelque peu. D'anti-belliqueux, le journal devint promoteur de la guerre à outrance après la défaite de Sedan. Ce changement de ton surpris tant et si bien le lectorat, composé majoritairement de paysans, d'artisans et de commerçants, que ces derniers reportèrent leurs voix sur les Conservateurs – qui se proclamaient partisans de la paix – lors des élections législatives de 1871.
Est-ce ce changement de ton, les diverses interdictions qui frappèrent le journal, telle celle annoncée dans le numéro du 21 mai 1871 ou bien le durcissement qui entoura la liberté de la presse à partir du 6 juillet 1871 qui provoquèrent la chute du Courrier de Roanne ? À moins que l'avènement de l'Ordre moral, contre lequel le quotidien s'était régulièrement érigé, n'en ait eu raison, au même titre que de nombreux journaux républicains.
Le Courrier de Roanne tira sa révérence le 29 juin 1873, non sans avoir passé le flambeau au Républicain de la Loire à qui il confia ses abonnés.