Accueil > La digue de Pinay : une commande royale >

La digue de Pinay : une commande royale

La Digue du Pinay - Carte postale

La Digue du Pinay - Carte postale

Moi, Guéroult du Pas

Je vais vous parler d’un temps où la navigation fluviale était florissante. On transportait sur la Loire le charbon, le vin et autres produits à bord d’embarcations à fonds plats nommées rambertes ou sapines. Celles-ci, construites à Saint Rambert à partir de sapins (d’où leur nom) pouvaient transporter jusqu’à Roanne de grandes quantités de denrées.

Jusqu’au XVIIIe siècle, la Loire rencontrait dans sa traversée des gorges depuis Saint Priest la Roche jusqu’à Roanne des gorges étroites, obstacles naturels qui ralentissait l’écoulement des eaux. Le passage aux piles de Pinay était redouté par les mariniers car il présentait de nombreux écueils parfois mortels. Détruit par une crue au XVe siècle, le pont de Pinay ne fut pas relevé, mais remplacé, pour franchir le fleuve, par un service de barques stationnées au petit Port du Rat. Située en aval des gorges, la ville de Roanne se trouvait moins exposée aux grandes inondations.

« Le chantier, … »

L’idée vint alors d’améliorer le chenal par quelques travaux, en particulier la suppression des rochers formant un rétrécissement naturel. Sur ordre du pouvoir royal, par lettre patente du 4 juillet 1702, la mission est confiée à la Compagnie du sieur  la Gardette. Idée malheureuse car le courant devint encore plus violent lors des crues. Roanne entre 1707 et 1711 est alors menacée, les bas quartiers sont de nombreuses fois inondés. L’ampleur des dégâts est telle que l’écho en arrive jusqu’à la Cour de Versailles.

Le Conseil du Roi Louis XIV décide alors la construction de trois digues : l’une aux piles de Pinay, l’autre au château de la Roche, la troisième près du village de Saint-Maurice (elle ne sera jamais réalisée). L’adjudication de ces ouvrages est ordonnée par arrêt du Conseil, le 23 juin 1711. Les travaux sont confiés aux ingénieurs Mathieu et Poictevin.

Je suis envoyé sur place comme  ingénieur des Ponts et Chaussés. Ma mission est de présenter l’avancée des travaux des digues et du port de Roanne. A cette occasion, je réalise plusieurs planches aquarellées vers 1714, afin de rendre compte de la navigabilité de la Loire en Forez. Il est ici question d’illustrer la politique instaurée par Colbert et poursuivie par Louvois, consistant à doter la France d’un réseau performant de communication par terre ou par eau.

La digue de Pinay est construite sur l’emplacement d’un ancien pont romain à cinq arches, en segment de cercle. Commencée le 13 juillet 1711, elle est achevée en 1712. À l’origine, un digueron en rive gauche s’appuyait sur la roche et l’essentiel de l’ouvrage, de 60 mètres de longueur, de 17 mètres de hauteur et d’une épaisseur de 10 mètres se trouvait en rive droite. La digue est alors capable d’arrêter une masse d’eau considérable puisque le débouché ne représentait qu’une largeur de 20 mètres. Lors des grandes crues, la digue remplit son rôle, elle est capable de résister à de très violentes poussées des flots, elle freine l’écoulement des eaux protégeant ainsi la ville de Roanne.

Aquarelle - La Digue du Pinay sur la Loire

La Digue du Pinay sur la Loire - Aquarelle

La Crue du 17 Octobre 1907 sur la Digue du Pinay - Carte postale

« Et après moi,… »   

Après ma mort, en 1790, la digue sera endommagée par une crue et aucune campagne de restauration ne sera engagée. Abandonnée, les riverains s’en serviront comme d’une carrière, ce qui entrainera de graves dégâts lors de la crue de 1846. Il faudra attendre 1860 pour qu’un programme de réhabilitation soit mis en œuvre. La digue de Pinay sera alors restaurée et surélevée. En 1895, un solide tablier métallique remplacera le pont de bois. Mais cela ne suffira pas, en octobre 1907, les eaux monteront jusqu’au tablier. Elles passeront même par-dessus en quelques heures comme l’illustre la presse de l’époque :

La Loire ayant monté à la digue du Pinay de 18 mètres, effleurait juste le parapet  de brique. Ne pouvant passer tout entier dans l’étroit canal, le fleuve furieux et enflé s’y engouffrait avec des bouillonnements et des grondements effrayants. Mais les flots trop pressés, comme bousculés encombraient la passe…et tombaient de sept à huit mètres de haut ». « Au bas du mur, un gouffre. Tous les objets qui y tombaient ne reparaissaient plus. Des meules entières y entraient, dont il ne ressortait pas un fétu. Elles avaient été pour ainsi dire avalées et ne reparaissaient en débris infimes que beaucoup plus loin… ». « Le bruit est puissant et profond. De près, ce sont comme des détonations sourdes qui se succèdent de seconde en seconde, comme des coups de bélier contre un mur. De loin, on dirait le bruit d’un train qui passe sur un pont métallique.

Les crues s’espaceront et s’amenuiseront au fil des ans. Au XXe siècle, le manque d’eau sera plus redouté que la surabondance.

En 1984 avec  la mise en service du barrage de Villerest, construit en 1978, la digue sera détruite pour dégager le lit du barrage et remplacée par un autre pont moderne.

Vue de la Digue du Pinay - Aquarelle

La Digue de maçonnerie du Pinay sur la Loire dans les montagnes du bas Forez - Aquarelle