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Quelle galère !

Gravure représentant Le repos des galériens (2450X) - Médiathèques Roannais Agglomération

Quand l’expression prenait tout son sens : l’époque des galériens du XVe siècle au milieu du XVIIIe siècle

Descendez la Canebière et promenez-vous autour du Vieux-Port. Aucune inscription ne rappelle que des milliers de misérables, marqués au fer rouge avec les lettres « GAL », furent envoyés à Marseille, condamnés à « servir sur les galères du Roy »

Le ministre de la Marine Colbert veillera à obtenir des magistrats qu’ils condamnent « le plus de criminels qu’il se pourra ». C’est donc par dizaine de milliers que les forçats se succèdent sur le banc des galères de France. Les condamnations, jamais inférieures à trois ans, peuvent atteindre neuf ans. Certains parlements, comme celui de Douai, condamnent de dix à trente ans, ce qui équivaut à une peine à vie.

Les différents type de condamnés :

Les condamnés de droit commun représentent un tiers des galériens sous Louis XIV. Il y a parmi eux, peu de meurtriers et de bandits de « grand chemin », ce sont pour la plupart des voleurs, des vagabonds ou des bohémiens que la misère pousse aux petits larcins ou à la mendicité. Que l’on soit vieillard, éclopé ou même enfant, tous sont attachés à la chaîne. Comme ce gamin de 10 ans que les juges du grenier à sel d’Auzane expédient aux galères en 1697. A Marseille, le roi relâche les condamnés de moins de 14 ans, après qu’ils aient subit le fouet publiquement sur le port.

Les déserteurs : Une ordonnance de 1684 commue la peine capitale en peine de galère pour les déserteurs. Ils sont près de dix-sept mille à être envoyés derrière une rame, après avoir eu le nez, les oreilles coupés, et marqués aux joues de deux fleurs de Lys, afin de servir d’exemple. L’« essorillement » était également la punition pour les évadés.

Les Protestants qui n’ont commis d’autres crimes que refuser d’abjurer leur foi, après la révocation de l’Edit de Nantes en 1685. Ils sont au nombre de 1 550. Considérés comme des rebelles, ils sont traités sévèrement afin que leur punition incite leurs coreligionnaires à revenir à la « vrai foi ». Cette catégorie est bien connue grâce au témoignage laissé par Jean Martheilhe condamné à l’âge de dix-sept ans (2450 X - La vie aux galères, souvenir d’un prisonnier / par Albert Savine).

Les contrebandiers du sel dit « faux – sauniers » : Le sel faisant l’objet d’un monopole royal, il fut longtemps le seul moyen de conserver les aliments et était donc un élément stratégique. La population l’achète taxé et en toute petite quantité, cet impôt se nomme la gabelle. Elle ne s’applique pas de la même façon sur tout le territoire français, certaines provinces payent le sel au prix fort, alors que d’autres, comme la Bretagne en sont exemptées. Cette inégalité entre « pays de grande gabelle », et « pays de franc sel », incite les miséreux à la contrebande, malgré une répression extrêmement dure. Le faux saunage est puni de plusieurs années de galères, voire la peine de mort. En 1722, le secrétaire d’Etat à la Marine constate que sur 78 forçats, 76 sont « faux sauniers ».

Il y a également, des esclaves achetés en Méditerranée : « les turcs », et quelques indiens iroquois envoyés par le gouverneur de la Nouvelle-France, pour « fortifier » les rangs de rameurs

On séjourne peu de temps dans les prisons, où les geôliers et autres « concierges » se considèrent avant tout comme des aubergistes, et accessoirement comme des auxiliaires de justice. Hormis la distribution quotidienne du « pain du Roy », composé d’un pain noir d’une qualité exécrable, les prisonniers devaient subvenir à leurs besoins : Tout y était à vendre… Deux fois par an c’est le grand départ, enchainés deux par deux par de lourds fers d’environ 7 kilos.

« Tous les criminels condamnés aux galères seront conduits en la ville de Marseille par les trois routes ordinaires de Paris, Rennes et Bordeaux. »

Le bon acheminement des condamnés jusqu’au port d’attache des galères constituait un impératif de première nécessité. Le terme de « chaîne » désigne autant la caravane d’hommes enchaînés qui sillonne la France, que la logistique servant à les regrouper dans des villes-étapes. Il y a 3 entrepreneurs, qui se partagent le « marché » de la conduite des condamnés. Un « capitaine de chaîne » est commissionné par le roi, afin d’acheminer les condamnés jusqu’à Marseille, il lui verse 30 à 40 livres pour chaque galérien qui y parvient vivant (soit env. 340 à 450 €). En échange de cette rémunération, le capitaine conduit la chaîne, prenant soin que nourriture et gîte lui coûtent le moins possible. Beaucoup meurent en route victimes du froid, des mauvais traitements, des privations, et de l’effort physique demandé par une aussi longue marche. Grâce aux trafics qu’il monnaye très chers (transport en charrette, denrées alimentaires) le capitaine s’enrichit sur le dos des forçats qui ont un peu d’argent, les autres crèvent de faim. Les décès en moyenne de 2 à 3% des effectifs peuvent atteindre 30% en cas de disette.

Les forçats de la chaîne de Bretagne qui passaient à Roanne, traversaient la France en diagonale sur 800 kms, de Rennes à Marseille, en six à sept semaines. Ils accomplissent des étapes journalières de 20 à 23 kilomètres.

On aurait pu l’appeler « chaîne des faux sauniers », car son itinéraire longeait la frontière de la grande gabelle, desservant toutes les prisons où s’entassaient les contrebandiers du sel. Elle débute avec les condamnés de Bretagne, elle rejoint la Touraine par Angers et Saumur. A Tours, étape importante, la chaîne se grossit des « cordons » du Poitou, du Maine et de l’Orléanais. Elle s’écarte du val de Loire pour gagner ensuite Moulins, Lapalisse et Roanne. La portion la plus terrible se situe entre Roanne et Lyon, lorsque les forçats doivent franchir en plein hiver les monts du Beaujolais par Tarare et L’Arbresle. Ils arrivent aux portes de Lyon, où la chaîne s’en remet aux bateliers du Rhône pour atteindre Avignon. Une fois débarqués, il reste aux condamnés encore une centaine de kilomètres à accomplir pour rejoindre Marseille, soit au moins quatre jours de marche, au cours desquels la chaine égrène ses derniers morts sur la route.

De son côté, la chaîne de Paris rassemble les condamnés de la moitié septentrionale du royaume. Les galériens du Centre et du Dauphiné marchent tantôt avec ceux-là, tantôt avec ceux de la chaîne de Bretagne car, à partir de la vallée du Rhône, leur route est la même. Ce sont les forçats attachés à la chaîne de Guyenne (Bordeaux) qui apparaissent les mieux lotis, car ils effectuent le trajet le plus court.

Plusieurs registres paroissiaux locaux attestent du passage des galériens à Roanne. Tout au long de la route : Saint Martin d’Estreaux, Tourzy, Tarare, pour ne citer que des lieux proches de Roanne, on retrouve leurs sépultures.

Hormis dans les grandes villes où les spectacles punitifs attiraient beaucoup de monde, le passage ou le séjour d’une chaîne de galériens suscitaient la méfiance des gens du cru.

Le capitaine de la chaîne et ses gardes étaient souvent considérés comme des parfaits fripons « tel ce capitaine de la chaîne de Bretagne, qui laissait les forçats dévaster les poulaillers, afin d’intimider la population, puis exigeait des laboureurs une « contribution » de 5 sols, pour poster des gardes devant leur maison. »

De par le Roy, le capitaine pouvait réquisitionner une grange pour abriter les forçats, des vivres pour les nourrir, ou des charrettes pour transporter les malades (à la condition de payer ces services).

Nul doute que les roannais comme les autres, accoutumés à voir passer les chaînes et à subir les exactions des capitaines, cherchaient à échapper aux réquisitions. Et même si parfois cette armée misérable a suscité des sentiments de compassion et de pitié de la part de ses contemporains, certains, cruels, n’hésitaient pas à répondre à ceux qui tendaient leur écuelle pour obtenir à boire :

Geoffray - Roanne, route de Paris (013)

Route de Paris - panorama photographique par Stéphane Geoffray (013) - Memo-roanne

Le 14e jour du mois de septembre a été enterré dans le cimetière St Jullien de Roanne Pierre Clojenson galérien et prisonnier du lieu d'Argenton en normandie. - Gabet

Extrait de registres paroissiaux (Archives municipales – Ville de Roanne)

« Marche, marche, là où tu vas, tu ne manqueras pas d’eau ! »

Arrivé à Marseille, une fois enregistré, chaque condamné reçoit une place à la rame d’un bateau, c’est la chiourme. Il est doté en vêtements : de deux chemises de toile, deux caleçons, une capote de laine à capuchon, une casaque, une paire de bas rouges et un bonnet de couleur vert ou rouge selon la peine, pour qu’ils soient toujours repérables. La capote, qui protège du vent et des intempéries, sert également pour le couchage. Tous les galériens doivent avoir le crâne rasé. Cette opération est renouvelée régulièrement.

La nuit, le navire en mer ou à quai sert de dortoir où il faut s’allonger tête-bêche dans le bruit des chaînes, dans la saleté, l’humidité et les odeurs nauséabondes. Afin d’éviter les épidémies, un nettoyage complet du navire, appelé « la bourrasque », est organisé deux fois par semaine. Dans ce monde, la discipline est rude, les châtiments corporels fréquents et la férocité quotidienne.

À son apogée vers 1690-1700, la flotte royale compte 40 galères sur lesquelles s’entassaient 12 000 rameurs, 3 000 officiers et matelots et 4 000 soldats.

Les galères sont des bateaux militaires que dominent deux mâts, leur dimension est d’au moins 55 mètres de long pour 5 à 8 mètres de large. De bâbord et tribord sortent jusqu’à 26 rames longues d’une vingtaine de mètres. Il y a la « Sensile » faites pour 200 rameurs, ou encore la « Patronne » pour 300 rameurs, et enfin la « Réale », celle du général des galères embarque jusqu’à 350 rameurs.

Une telle flotte nécessite un fort recrutement de rameurs. Il n’y a plus de marin libre volontaire prêt à tirer la rame pour une solde, la galère est alors « armée par force » à partir de la Renaissance. Ces hommes qui composent « la chiourme » ont des conditions de vie tellement déplorables qu’elles imposent un constant renouvellement.

Cependant, dès le milieu du XVIIe siècle, les galères deviennent obsolètes, face aux grands voiliers et à leur puissance de feu redoutable. Désormais, les galères ne sont plus une priorité pour le royaume. En 1715, le nombre des galères tombe à une vingtaine d’unités, dont beaucoup dans un état pitoyable.

En 1748, Louis XV signe une ordonnance rattachant le corps de galères à celui de la Marine en précisant que toutes les galères dans les ports seront entièrement désarmées.

Gravure représentant une galère - Médiathèques Roannais Agglomération

À la fin du XVIIIe siècle, Marseille compte encore 12 000 galériens pour une population libre de 50 000 habitants. Galères et galériens disparurent du paysage au «profit » des ports militaires et arsenaux maritimes de Toulon, Brest, Rochefort et Lorient, où furent successivement créés des « bagnes à terre ».

Aux 60 000 hommes ayant été galériens de 1680 à 1748 vont désormais succéder des dizaines de milliers d’autres que l’on va prendre l’habitude de nommer « bagnards ».

Si l’arsenal a été détruit, si le souvenir des chiourmes en casaque écarlate s’est peu à peu effacé de la mémoire collective des Marseillais, il reste, dans les dépôts d’archives, les bibliothèques et les musées, assez de pièces pour restituer le tableau des galères de France au « Grand Siècle ». Cette chanson évoque ce temps :

« Un jour les soldats du roi
T'emmen'ront aux galères
Tu t'en iras trois par trois
Comme ils ont emmn'nés ton père
Tu auras la têt' rasée
On te mettra des chaînes
T'en auras les reins brisés
Et moi j'en mourrai de peine

J'ai pas tué, j'ai pas volé
Mais j'ai pas cru ma mère
Et je m'souviens qu'ell' m'aimait
Pendant qu'je rame aux galères. »

 

"Le Galérien"