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« Jean Puy » un établissement aux mille visages

Le lycée Jean Puy est l’un des plus vastes et des plus beaux établissements de Roanne, il est formé de bâtiments modernes et de restes d’un ancien Collège de Jésuites. Depuis 1611, grâce à des fortunes diverses et sous des directions différentes, des générations d’écoliers et de maîtres se sont succédé. Cette institution religieuse a connu au cours des siècles, toutes les évolutions du système éducatif imposé par les régimes politiques différents.

I. La naissance d’un Collège

Roanne, entre Lyon plate-forme des livres calvinistes de Genève, et Montbrison acquise à la Ligue sous l’influence de la famille d’Urfé, subit les effets des luttes religieuses des XVIe et XVIIe siècles qui lui valent l’établissement d’un Collège de Jésuites. En 1609, ils s’installent dans un modeste manoir appartenant à Jacques Coton, seigneur de Chenevoux. Le collège jésuite est fondé en 1611 sous l’instigation de son frère Pierre dit « Père Coton ». Il est originaire de Néronde, prédicateur de la Réforme catholique, confesseur du roi Henri IV et de Louis XIII. En 1616, Jacques, fait don de sa bibliothèque privée au Collège de Roanne. Les jésuites gèrent l’établissement jusqu’à leur expulsion en 1762.

En 1763, les Joséphistes, missionnaires de Saint-Joseph ayant pour principale mission l’enseignement en milieu rural, prennent la relève jusqu’en août 1792. Ils suivent la méthode d’enseignement de l’Université de Paris, avec des cours de philosophie et rhétorique, auxquelles s’ajoutent les sciences et particulièrement les sciences physiques dont l’intérêt est grandissant au XVIIIe s. Sans proscrire les langues anciennes le conseiller Roland s’attache aux langues vivantes. Il veut aussi un cours d’histoire nationale et même d’histoire locale. L’enseignement est gratuit pour les externes mais avec un règlement strict. Un élève peut être exclus pour différentes raisons : pour avoir manqué de se confesser depuis 3 mois, se baigner dans les rivières sans permission, pour vol ou insulte faites à quelques citoyens ou enseignants.

À la Révolution, les biens du clergé sont confisqués et Roanne est désignée comme l’un des « districts » de la Loire chargé de les collecter. Les bibliothèques des Joséphistes, des Minimes et des Capucins de Roanne et de Charlieu sont rassemblées pour former la Bibliothèque de l'Ecole Centrale en 1796.

II – De l’Ecole Centrale au Collège communal universitaire

Outre la bibliothèque, le jardin botanique de Roanne est intimement lié à celle de l’Ecole Centrale du département de la Loire (1796-1803). En instituant les Ecoles centrales, la Convention avait élargi le programme à l’enseignement des sciences naturelles et de l’agriculture, et comme complément à l’enseignement technique, un jardin et un cabinet d’histoire naturelle étaient prévus. Lorsque l’établissement fut ouvert, Hector Passinges (1738-1798), naturaliste roannais, remplis les fonctions de professeur d’histoire naturelle et procéda à l’organisation du jardin botanique dont il en fut le directeur. Jean Marie Lapierre (1754-1834), naturaliste également, lui succéda. C’est à ce dernier que nous devons le plan manuscrit du jardin, avec la mention : « Commencé par Passinges : orné et augmenté par Lapierre : voilà résumé en deux mots l’histoire du jardin botanique. » Le jardin est attenant à l’Ecole, sur une surface de plus d’un hectare. Les plantes classées selon le système de Linné, se compose d’une collection complète d’arbres à fruits et contient une pépinière et une orangerie. Dans le catalogue on dénombre un total de 1592 plantes. Cependant, cette Ecole était loin d’être florissante (elle compte 83 externes) et selon la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) devient une Ecole Secondaire et passe de la tutelle du département à la charge de la commune. Le jardin n’a plus raison d’être, le programme plus restreint ne comportait ni l’enseignement agricole, ni celui des sciences naturelles. Sa suppression se décida en conseil municipal. Il fut désaffecté et le terrain réuni à l’Ecole secondaire. C’est au moment de la disparition du jardin botanique que fut ouverte la rue Noëlas.

Une société d’actionnaires se forma et procéda au choix des nouveaux professeurs appartenant à la Congrégation des Pères de la Foi. En 1805, pour la pension alimentaire et l’enseignement le coût était de 300 F auxquels s’ajoutait 250F pour le blanchissage, le raccommodage, les soins et visites du médecin. Pour les externes, le coût est de 15 livres par trimestre. En novembre 1907 sur ordre de sa Majesté la direction du Collège constituée de prêtres tombe en disgrâce. L’empereur ne voulait aucune Congrégation religieuse enseignante. Malgré le soutien du cardinal Fesch, oncle de l’empereur et archevêque de Lyon, la Congrégation dût se retirer définitivement le 3 août 1808 sur ordre du préfet. En 1810 M. Nompère de Champagny, recteur des Facultés de Lyon fit tous ses efforts pour sauver l’école secondaire de Roanne qui devint collège d’Université. L’enseignement fut confié aux Messieurs de Saint-Joseph, après l’avoir quitté 18 ans plus tôt. De 34 pensionnaires en 1811, le collège compte 300 élèves et 90 pensionnaires en 1813. On créé une chaire de rhétorique puis de philosophie. A partir de 1814 et l’invasion de la France par les armées étrangères et leur présence, le nombre des élèves diminue fortement, malgré les arrangements aux familles pour le paiement des pensions. Pendant cette période et jusqu’en 1850 l’école connait des hauts et des bas au gré du contexte historique. Le vote de la loi Falloux le 15 mars 1850 porte le coup de grâce au collège de l’université. Elle instituait la liberté complète de l’enseignement et supprimait le monopole de l’Université.


En 1851 le collège passe sous la direction de l’Archevêque, mais suit la même règle que le lycée d’Etat. Dès lors les pensionnats dirigés par le clergé attirent de nombreux élèves. L’uniforme était de rigueur et se composait d’une redingote de drap bleu national, avec palme en or fin au collet, boutons avec le nom du collège, casquette en velours de soie et cravate noire. L’année scolaire débutait le 15 octobre jusqu’aux grandes vacances la première dizaine du mois d’aout. Les études étaient sérieuses, les succès aux examens du baccalauréat chaque année nombreux et brillants. Le collège avait une importante fanfare qui le 16 juillet 1861 joua « la reine Hortense » pour Napoléon III, alors en cure dans la ville thermale de Vichy. L’empereur félicita en personne les enseignants et le principal. A cette période, le peintre Zacchéo décora la chapelle en cours de restauration, ses peintures sont encore visibles aujourd’hui. La guerre et le renversement de l’Empire allait amener une municipalité Républicaine à Roanne qui immédiatement rompit son contrat avec l’archevêque.

Le 28 juin 1874 paraissait un violent article dans la presse locale contre le collège. On l’accusait de coûter trop cher par rapport au nombre d’élèves toujours diminuant. On proposait d’en faire une caserne de cavalerie. Mais le principal M. Gourju défendait la maison de son mieux. Sous son principal quelques évènements intéressants sont à souligner, dont la restauration de l’inscription sur le portail placé par sieur Coton de Chenevoux et la réparation par Nicolas Lescournel de l’ange gardien à l’entrée de la chapelle. Il entreprit avec l’abbé Patissier de réparer la profanation des corps de Pierre Coton, son frère et son neveu, victimes pendant la Révolution. Un matin, dans le plus grand secret, une fois le caveau descellé, ils descendirent et rassemblèrent avec émotion et respect les ossements des trois corps disséminés lors de la profanation dans un grand cercueil neuf. Dès 1878, deux projets sont menés par les différents directeurs qui se succèdent. D’abord celle de modifier les bâtiments trop vieux et trop petits, ensuite d’obtenir la transformation du Collège en Lycée. En 1884 les travaux après plusieurs devis sont commencés, puis arrêtés et reprennent enfin pour donner le vaste ensemble que nous connaissons. Puis, grâce à l’énergie du député Audiffred, le Collège se transforme en Lycée d’Etat. Mais de nouveau la guerre frappe le territoire français.

III - Le Lycée Jean Puy au fil des guerres

Dès le 15e jour après la mobilisation, l’hôpital temporaire n.26 est ouvert dans l’enceinte de l’établissement. La ville de Roanne met à la disposition du service de santé militaire entre 1914-1918 presque 2000 lits. Les blessés sont en majorité des hommes de troupe en provenance de Perthes, Beauséjour, aucun ne sont originaires de la région. On ne laisse aux élèves que les vieux bâtiments de l’ancien collège. Il fallut « se débrouiller ». Pour certains cours les élèves doivent désormais se rendre à la Chambre de Commerce ou à l’école primaire de la rue Paul Bert. Les pensionnaires sont hébergés dans des familles par manque de place. Commence alors une cohabitation pas toujours évidente. Les derniers blessés quitteront l’hôpital n.26 au printemps 1919. Ce n’est qu’en 1920 que le Lycée réoccupe enfin tous les bâtiments qui lui appartiennent.

Les années ’30 voit l’entrée des jeunes filles dans les deux classes finales du lycée de garçons : les mathématiques élémentaires et la philosophie. Préparant le baccalauréat comme leurs camarades hommes, en attendant que des professeurs femmes puissent occuper des chaires des Lycées de jeunes filles, ces élèves sont venus s’asseoir sur les mêmes bancs que nos jeunes gens. C’est ainsi que dans les années 1930 Simone Weil, présentée par les uns comme « la plus grande mystique du siècle », par d’autres comme « une anarchiste révolutionnaire » fut professeur de philosophie au lycée de jeunes filles de Roanne, comme le rapporte Anne Reynaud qui a suivi son enseignement en 1933-1934. La classe était à l’écart des grands bâtiments du lycée, dans un petit pavillon presque perdu au fond du parc. A la belle saison les cours avaient lieu sous le cèdre. Ce professeur dont toute la vie fut une illustration de cette parole de Goethe : "Agir est aisé, penser est malaisé, conformer l’action à la pensée est la chose la plus difficile. »

En septembre 1939, le lycée abrite un régiment de pionniers. Un hôpital complémentaire succède vingt ans après à celui de 14-18. Seuls restent les professeurs âgés ou mal portants. Les mobilisés sont suppléés par leurs collègues du lycée de jeunes filles. Avec la guerre un brassage de population parmi les élèves s’effectue, ils arrivent de l’Est du Nord, de Lyon ou Paris. La vie de l’école se concentre, comme en 1914 dans les plus anciens bâtiments. Les horaires sont aménagés. On creuse des abris dans les cours. On obscurcit les fenêtres d’épais rideaux bleus. Reste à l’internat les seuls élèves qui ne peuvent pas rentrer chez eux par les cars régionaux. Lors du premier passage des Allemands à Roanne le lycée est fermé entre le 19 juin et le 6 juillet 1940. Cependant l’examen d’entrée en 6e n’est qu’ajourné à fin juillet et les bacheliers passent leur diplôme avec un mois de retard. Dans les années 1940, une réforme est lancée accordant plus d’importance à l’éducation physique, et un meilleur usage des enseignements de musique et dessin pour former véritablement les esprits. Entre 1942 et 1944, on rogne sur la lumière, le chauffage, le papier et les fournitures scolaires. Les copies sont parfois réduites à une demi-feuille. En novembre 1942, avec le retour des Allemands dans la ville, le couvre-feu s’ajoute aux restrictions quotidiennes. A partir de 1943, le phénomène de la résistance s’accentue. Monsieur le proviseur couvre deux de ses administrés quand un inspecteur des Renseignements Généraux vient demandés des renseignements sur eux. Il organise le suivi du travail scolaire d’élèves israélites obligés de fuir. Il fait disparaitre des registres le nom d’un élève dont le père est recherché par la Gestapo. Il empêchera notamment la réquisition de son lycée. De même certains élèves s’engageront dans la résistance. Par chance la libération ne provoqua aucun drame au lycée de Roanne.

Après la guerre, le lycée poursuit sa croissance et atteint les 1000 élèves, les succès au baccalauréat classe l’établissement parmi les meilleurs de l’Académie. Il ne lui manque plus qu’un nom et c’est ainsi que M. Smeyers propose en 1962 Jean Puy comme parrain de la maison. Ce dernier est un peintre né et mort à Roanne et qui a connu toutes ses années de scolarité dans la maison du Père Coton. Mais ce n’est qu’en 1969, sous le proviseur Goninet, que le nom est officialisé. A la rentrée de septembre 1968 conséquence des évènements de mai, c’est la mise en place de la mixité dès la 6e. Puisque jusque-là Jean Puy était pour les garçons et Jules Ferry pour les filles. De plus, au cours des années ’70 l’internat disparait progressivement pour favoriser le développement du ramassage scolaire. D’autres luttes doivent être menées concernant le choix du maintien de certaines matières comme les langues vivantes, latin ou grec, et l’ouverture de nouvelles sections.

D’autres difficultés tiennent dans les locaux qui ne sont pas toujours fonctionnels et adaptés aux enseignements actuels, d’où la nécessité régulière de chantier et encore de nos jours. Le dernier en date fut initié en septembre 2019, et concerne la restructuration du lycée qui est toujours en cours. Au total 9000m² rénovés et 3000m² neufs, comprenant un gymnase, une salle de musculation et un internat ouvert depuis septembre 2021 qui devrait compter 48 lits à terme, en septembre 2022.